La Grande Traversée de la Corse à vélo
Texte et photos par Alice Karsenti
La Corse, « l’île de beauté » connue pour son identité prononcée et revendiquée, pour la richesse de son terroir et pour la beauté de ces paysages. Victime de son succès en été, la Corse retrouve son calme en septembre et accueille alors une autre catégorie de voyageurs, plus sensible et attentive à la nature. Entre mer et montagnes majestueuses, l’île est connue pour être un terrain de jeu pour randonneurs et cyclistes.
Parmi les nombreux parcours possibles pour découvrir cette île, la Grande Traversée de la Corse à vélo (GT20) est l’un des récents itinéraires pensés. C’est celui-ci que nous avons choisi pour des vacances authentiques, en immersion dans le maquis corse.
Hippolyte et moi sommes copains de près ou de loin depuis 14 ans, mais c’est notre amour pour la nature et l’aventure qui nous a récemment rapproché. Partis en trek en Norvège l’an dernier, on a opté pour une aventure à vélo cette année. Après avoir lu un article sur la Grande Traversée de la Corse (GT20), je lui ai proposé de partir à l’assaut des reliefs corses. Tous deux sportifs, adeptes de défis et amoureux des montagnes, la décision était prise : en septembre nous partirions en Corse !
L’organisation
Bien que l’itinéraire soit déjà tout tracé, partir 12 jours en mode camping en Corse n’est pas l’organisation la plus simple pour une première fois !
La première étape a été de savoir comment rejoindre notre point de départ, à savoir la ville de Bastia. On a booké un train Paris-Marseille puis un bateau Marseille-Bastia. Et pour le retour, on a choisi de repartir de Propriano, on a donc pris un bateau Propriano-Marseille puis un train Marseille-Paris. Tout ça avec l’option vélo plié à bord dans le train. A savoir que cette option requiert de démonter son vélo et de le ranger dans une housse qui peut s’avérer volumineuse. Nous, on a eu la chance de pouvoir les laisser à ma cousine (big up Tara) à Marseille le temps du voyage !
Ensuite il a fallu s’équiper avec le matériel adéquat. On a choisi de voyager en gravel pour que nos vélos puissent supporter nos équipements, et nous laisser libre de s’éloigner des routes si l’envie nous en prenait, tout en gardant un bon rendement sur route. On a équipé nos vélos de sacoches de selle, de cadre et de guidon, de pédales automatiques et d’un support QuadLock, et le tour était joué ! On voulait partir le moins encombrés possible mais pouvoir dormir en camping quand on le souhaitait. On a donc fait un inventaire des choses indispensables – à retrouver en fin d’article – et on s’est réparti les affaires pour que tout rentre. Pour la petite histoire : on a terminé notre set up à Marseille, rien n’était au point en partant de Paris, on a bien cru qu’on ne pourrait pas emmener la tente ! Mais finalement tout est rentré et en montant à bord du bateau les vélos étaient fin prêts pour cette aventure !
Défi sportif
Le GT20 s’étend sur 600km de route et plus de 10000m de d+ à travers la Corse. Divisé en 12 étapes de 50km en moyenne permettant d’apprécier les paysages et de profiter d’un mode de vie au rythme de la nature, ce parcours est selon moi relativement accessible. Les étapes ne sont jamais longues (exceptée la dernière : Zonza-Bonifacio 71km) et le dénivelé est quasiment toujours réparti de la même manière : autour du Cap Corse on a plutôt affaire à une alternance de montées et descentes assez courtes, puis sur le reste du parcours à de grandes montées de plusieurs kilomètres qui demandent patience et persévérance, mais elles sont toujours suivies de longues descentes allant jusqu’à 35km (étape Col de Vergio–Corte), qui permettent de reposer les muscles et d’apprécier pleinement les paysages, visage et cheveux au vent. Les sensations de liberté et de bonheur sont assez uniques dans les descentes !
Bon, bien que les kilomètres et le dénivelé soient bien répartis sur l’ensemble des étapes, cette traversée n’en reste pas moins challengeante, même pour un.e sportif.ve. Je recommande de s’entrainer avant de s’y attaquer, notamment pour le dénivelé si vous voulez éviter de vous faire distancer d’une heure par votre compatriote dans les montées !
Je n’ai pas choisi de faire ce voyage pour la performance mais l’idée de relevé un défi sportif était quand même au programme et je pense pouvoir dire que l’objectif a été atteint ! On s’est mis de belles journées en doublant certaines étapes, de sacrées suées chacun à son rythme dans les montées. J’ai pris mon mal en patience pour venir à bout de ces ascensions interminables et j’ai lutté pour ne pas poser le pied à terre après 25 minutes de montée à la vitesse d’un escargot et alors qu’il me restait une bonne demi-heure pour atteindre le sommet. J’ai appris à descendre tout schuss dans les descentes, le vélo penché dans les virages comme les pros. J’ai découvert ce que c’était de rouler 120km dans la journée sous le soleil et en oubliant de remplir ses gourdes. J’ai savouré la glace ou la bière bien méritées en fin d’étape, assise le regard dans le vide, la tête étourdie par l’effort et les bras rougis par le soleil. J’ai eu parfois la flemme de pédaler mais les paysages étaient là pour me rappeler à l’ordre. Bref je me suis régalée en repoussant un peu mes limites mais sans aucun enjeu !
“ L’effort physique exigé pour gravir les côtes longues
de plusieurs kilomètres et la lenteur du déplacement
m’enseignent persévérance et patience. ”
Connexion avec la nature et voyage sensoriel
J’avais pour volonté, au travers de cet itinéraire à vélo, de me connecter à la nature le plus pleinement possible. La nature fait office de safe-place, de lieu de quiétude, d’évasion pour moi et en grandissant j’ai compris que j’avais besoin de m’y retrouver le plus souvent possible. Citadine d’origine et pas mécontente de l’être, je cours néanmoins me ressourcer en pleine nature dès que j’en ai l’occasion !
Ces 12 jours d’immersion sur les routes corses m’auront permis cette connexion tant convoitée. Dès les premiers instants du voyage, le rythme lent du déplacement à vélo, contrastée par le dépassement des voitures allant à vive allure sur la corniche qui longe le Cap Corse depuis Bastia me jette dans cette dimension de lenteur. Chaque virage m’offre une nouvelle vue sur la mer calme bleu azur qui se confond avec un ciel clair, des odeurs méditerranéennes me parviennent, je souris seule, déjà convaincue que ce voyage dont je rêve depuis un an va être une aventure marquante.
Cette première expérience de bikepacking me séduit. Le voyage à vélo met en éveil l’ensemble de mes sens. Je suis attentive à chaque détail des paysages qui s’offrent à moi, je prends le temps de les apprécier, parfois même lorsque ceux-ci me touchent particulièrement je freine et m’arrête pour m’imprégner du tableau qui m’est présenté. Comme pour remercier la vie de m’offrir ce moment et imprimer ce souvenir dans ma mémoire, un souvenir sensoriel.
Mon odorat est également sollicité. Le maquis corse dégage sous l’action des rayons chauffant du soleil, un parfum singulier qui me rappelle mes vacances en famille sur l’île. Ces odeurs font office de madeleine de Proust et tout au long du voyage, celles-ci réactivent des souvenirs d’enfance enfouis dans ma mémoire. D’autres senteurs végétales comme celles de l’eucalyptus ou du figuier, deux arbres que j’affectionne pour leur parfum, leur apparence et les souvenirs qu’ils éveillent, ne manquent pas de retenir mon attention dès que j’en croise un. L’eucalyptus est un arbre originaire d’Australie, implanté en Europe et particulièrement sur le pourtour méditerranéen qui offre un climat propice à son épanouissement. Mon père adore cet arbre et lorsque nous partions en vacances nous en ramassions les fruits. Ceux-ci sont imprégnés du parfum de l’arbre. Nous les faisions sécher au soleil et les ramenions de nos vacances pour les utiliser comme encens chez nous. Au contact des rayons du soleil, tout comme le maquis corse, les fruits séchés d’eucalyptus diffusent à nouveau leur parfum jusqu’à plusieurs années après. Ainsi, ce petit fruit, insignifiant pour la plupart des gens s’apparente à un trésor pour moi et je prends toujours le temps d’en ramasser quelques uns de mes voyages lorsque je croise leur route. Le figuier lui, renferme mon odeur de végétal préféré et me rappelle les cueillettes de figues clandestines d’un mois d’août passé en Corse. En plus de titiller mon odorat, cet arbre vient chatouiller mes papilles. Je suis à l’affût des figues, qui se font rares en cette fin d’été. Mais je réussis néanmoins à m’en procurer quelques-unes que je savoure telle une denrée rare et précieuse ! Je trouve également du raisin et quelques amandes qui font ma joie. J’ai toujours éprouvé un immense plaisir à cueillir moi-même ce qui est à ma disposition en pleine nature, pour le déguster avec gourmandise aussitôt cueilli !
“ Au contact des rayons du soleil, tout comme le maquis corse, les fruits séchés d’eucalyptus diffusent à nouveau leur parfum jusqu’à plusieurs années après. ”
Le choix d’un hébergement en camping prolonge ma quête d’immersion au sein de cette nature sauvage. Nous vivons en plein air. Nous nous douchons dehors, nus face à la nature, et nous endormons au son de la rivière qui s’écoule éternellement ou du beuglement des vaches comme cette seconde nuit passée chez Annie dans le désert des Aggriates. Mi-septembre, fin d’été, les jours raccourcissent et nous devons nous plier aux règles du soleil. Celui-ci nous force à vivre encore un peu plus en phase avec notre environnement. A la nuit tombée nous rejoignons la tente et profitons souvent d’un moment à l’écoute des sons du vent, de l’eau ou des animaux qui emplissent ce vide laissé par l’absence d’activité humaine. Je me sens alignée, vivante. Je retrouve des sensations de liberté et de plénitude immenses. Tous les éléments qui m’animent sont réunis : l’effort physique, la nature, le temps pour l’apprécier.
Voyager à deux
Partir en vacances à deux présente des avantages et des inconvénients mais reste toujours challengeant pour moi. Parce que passer la quasi entièreté du temps – exceptés les moments de vélo – avec la même personne peut s’avérer compliqué, même en choisissant bien son partenaire d’aventure !
Les avantages d’une aventure à deux sont multiples: plus de flexibilité, choix rapidement faits, la présence d’un acolyte permet de se remotiver quand le moral trébuche et bien sûr le partage d’une aventure dont le récit n’égalera jamais le vécu. Les temps longs passés ensemble, l’émerveillement devant les paysages, les moments de difficultés et de grande fatigue révèlent nos vraies essences et donnent lieu à des échanges profonds, des moments d’extases, de grande joie partagée que personnellement je ne retrouve que lors de voyage à deux. La puissance de ces moments est précieuse et ancre ces aventures en moi. Je reviens chaque fois un peu changée, reconnaissante de ce je viens de vivre et avec un sentiment de connexion profonde et difficilement descriptible avec la personne avec qui je pars.
Avec Hippo on est déjà parti ensemble l’an dernier alors c’était pas vraiment nouveau. On sait qu’on fonctionne très bien ensemble, encore plus quand rien n’est planifié. On aime se laisser guider par le voyage, par nos envies au jour le jour et on est assez flexible alors ca fonctionne parfaitement. Mais cette année on est parti 14 jours – contre 7 l’an dernier – alors pour moi ça changeait quand même la donne et j’ai pu voir notre relation évoluer au fil des jours. Au début du voyage nous étions euphorique, d’accomplir notre projet, de partir à l’aventure, de se retrouver. Alors nous parlions beaucoup, étions super enthousiaste et tout était prétexte à faire une blague! Puis une sorte de routine, de monotonie s’est installée au fur et à mesure. Car même si chaque jour était différent par la variété des étapes, les paysages, la météo, l’humeur de chacun, chaque jour se ressemblait pourtant: démonter la tente, ranger toutes les affaires, repartir pour une nouvelle journée, pédaler, monter, descendre, déjeuner, monter, descendre, arriver, monter la tente, etc. Alors les discussions se sont espacées, laissant place au silence. La contemplation et les moments d’évasion sont venus remplacer les moments de rigolade du début. Comme en harmonie ensemble et avec notre environnement, nous n’avions plus besoin de parler pour échanger. Je dirais que ce processus s’est mis en place naturellement vers le milieu du voyage. Et parce qu’on se connait, que l’on vibre tous les deux de la même manière lors de nos aventures, heureux entre sport et nature, cette transition a été naturelle et agréable. Savoir écouter le silence ensemble est précieux. J’ai la sensation que de manière ambivalente, alors que lors de ces moments de silence, aucune parole n’est échangée, nous communiquons par la pensée. Quelque chose se passe, comme une connexion imperceptible, nos esprits se connectent dans le silence de la nuit.
Des heures de vélo, des odeurs, des images, des discussions, des regards, des silences. Douze jours d’éveil de sens, de sueur, de symbiose. Merci Hippo d’être venu partager cette aventure avec moi, rendez-vous cet été pour la partie trois ?
Recap’
Durée : 12 jours
Difficulté : intermédiaire
Type : itinérance
Hébergement: 80% camping, 20% hôtel/Airbnb
Distance : 700 km
Dénivelé : 12000 m D+
Départ – Arrivée : Bastia — Propriano
Période : septembre
Quelques spots coup de coeur :
Pause dej chez U Paradisu, à la pointe du Cap Corse
Camping Isulottu, Centuri, Cap Corse
Pause café face à la mer à l’Auberge du Chat qui Pêche, Canari, Cap Corse
Pause dej à La Sassa, Nonza, Cap Corse
Camping à la Ferme Monte Oggio, désert des Agriates
Camping de Tuani, vallée de la Restonica, Corte
Pause dej ou café à l’Auberge U Paese, Vivario
Camping U Valdo, Ghisoni
Dîner au Gîte U Pianu di l’Amicizia, Ghisoni
Pause café chez I Sabidini, Aullène
Camping Olva, Sartène
Pause café sur la Place Porta à Sartène
Liste du matériel emporté :
Vélo
vélo Gravel Canyon Grail 6
antivol Kryptonite pour les deux vélos
1 multi outil avec dérive chaîne
1 mini pompe
1 kit de secours pneu tubeless
1 chambre à air
2 maillons de chaine de rechange
tube de cire pour la transmission
1 pate de dérailleur
1 casque
1 cuissard
1 paire de gants
chaussures de vélo
gourdes = 1.5L
sacoches : selle, cadre et guidon (Ortlieb & Décathlon)
Camping
tente 3 places
matelas de sol gonflable
sac à viande
trousse de toilettes : savon solide, dentifrice solide, brosse à dent, peigne, pansement, quelques médicaments de secours, coupe-ongles, pince à épiler, crème solaire
Vêtements
chaussures de trail
tongs
serviette microfibre
3 paires de chaussettes
4 bas de sous vêtements
2 brassières de sport
1 paire de lunettes de soleil
1 veste de pluie
3 tee-shirts de sport
1 polaire
1 legging
1 tenue de ville
Autre
appareil photo argentique + 3 pellicules
1 batterie externe
1 livre
1 montre de sport avec GPS
chargeurs : téléphone, montre
barres de céréales