Trois semaines à bord du Marion Dufresne

En juin dernier j’ai eu l’honneur, dans le cadre de mon doctorat, d’embarquer pour la seconde fois à bord du fameux Marion Dufresne, plus grand bateau de la flotte océanographique française, pour une mission scientifique de 3 semaines dans l’Atlantique Equatorial. J’y ai vécu une expérience exceptionnelle, riche d’apprentissages, de rencontres et d’émotions. En retrouvant la terre ferme j’ai eu envie d’écrire pour essayer de retranscrire la magie de la vie à bord de ce bateau, si spécial. Ce texte n’a pas vocation à présenter tous les aspects de ce type de mission - il existe un site pour ça - mais seulement un récit personnel d’une aventure collective. Bonne immersion!

Chaque personne montée sur le Marion depuis 28 ans vous dira que l’expérience est exceptionnelle, insaisissable pour quiconque n’est pas monté à son bord. A l’heure de rentrer en France, j’ai quand même envie d’essayer de transmettre ce que l’on peut y vivre.

Déjà marquée par ma première mission en 2018, celle-ci vient confirmer ce ressenti commun d’expérience insaisissable. La dynamique qui règne sur ce bateau est singulière de part la mise en commun d’équipes aux missions bien différentes à bord. 

En effet la cohabitation d’équipes techniques, de marins et de scientifiques n’est pas monnaie courante sur les bateaux. L’équilibre qui s’instaure grâce à une organisation rodée et une discipline nécessaire de la part de chacun, à quelque chose d’unique. Pas forcément évidente à gérer, cette vie à bord a des airs de huis clos où il est facile de perdre ses repères. Rapidement la notion de temporalité s’estompe. La ligne d’horizon à 360°, le rythme de vie propre au bateau et le décalage horaire avec la France gomment tous repères possibles. Le bateau navigue et avec lui, le temps. Le seul repère est le soleil qui dessine chaque jour un arc de cercle dans le ciel et fait varier l’intensité lumineuse, nous laissant tous les soirs avec des spectacles de couleurs toujours plus stupéfiants les uns que les autres. Les événements du monde extérieur semblent bien loin…

Malgré la connexion internet récemment installée sur le bateau, cette expérience fait office de déconnexion quasi totale. On y rencontre tout un tas de gens, que l’on côtoie jour et nuit, avec qui l’on s’entend ou non mais avec qui il faut cohabiter. On y apprend donc la vie en communauté car à bord, tout est partagé; aussi bien les espaces que les activités. La vie à bord a ses avantages et ses inconvénients que nous scientifiques, expérimentons pour la plupart, pour la première fois! On y découvre pour certains le fameux mal de mer, l’organisation en quart permettant de faire tourner les opérations 24h/24, l’ennui par moment. Pour ma part je découvre à bord une forme de liberté liée à l’immensité de notre planète et à laquelle il est assez rare de se confronter dans le quotidien. L’étendue d’eau qui nous entoure et le paysage à la fois identique et chaque seconde différent me font vibrer. J’ai l’impression d’être constamment au même endroit alors que nous parcourrons plus d’un millier de kilomètres au total. Je m’accorde quelques moments de solitude sur le pont supérieur, musique dans les oreilles, les yeux écarquillés face à l’océan, à l’affût d’un événement qui viendrait troubler ce calme infini. Ces moments sont marquants et exacerbent mes ressentis.

De manière générale, la vie à bord décuple les émotions. La frénésie qui anime le bateau et la fatigue liée au rythme de travail soutenu engendrent des fous rires uniques mais également une sensibilité plus prononcée par moment. D’où la nécessité de se ressourcer seul.e. L’activité physique et la créativité sont autant de soupapes qui peuvent permettre d’évacuer les émotions et de se rééquilibrer lors de cette aventure. Au pont H la salle de sport permet de pédaler face à l’horizon ou de porter quelques haltères pour s’entretenir. Sinon, de manière plus ludique, il est possible de pratiquer le badminton, le ping-pong et le basket dans la cale. C’est l’occasion de se mélanger avec toutes les personnes présentes à bord et de transpirer un bon coup (pas de climatisation dans la cale!). Adepte de sport à terre, je m’en délaisse partiellement à bord et me tourne plutôt vers des activités créatives. Les longs après-midi de temps libre dont je dispose et le caractère à mes yeux poétique d’une aventure en mer me donnent plutôt envie de créer. Je m’essaye donc avec une amie rencontrée à bord, à la poterie à partir des sédiments prélevés 3000m sous le bateau et à l’écriture d’un article pour le site de la mission.

Certains s’occupent en lisant ou en travaillant, d’autres font des jeux, jouent de la guitare ou discutent autour d’un café ou d’une bière. Le bar est le lieu de réunion central du bateau et il n’est pas rare que de petites soirées plus ou moins dansantes s’y improvisent jusque tard dans la nuit, pendant que, de l’autre côté de la vitre, les copains travaillent sur le pont. En réalité, étant donné le nombre de personnes, la quantité relativement importante d’activités disponibles, les horaires de travail et la fatigue, il est difficile de s’ennuyer à bord du Marion!

Sur le plan scientifique, c’est l’occasion d’apprendre ou de réapprendre les processus de carottage depuis le choix d’un site jusqu’à la remontée de la carotte à bord et au traitement pour archivage par la suite, de rencontrer des chercheurs/ingénieurs/techniciens de domaines variés, d’échanger et de s’ouvrir à des thématiques différentes, de parler anglais ou dans notre cas de s’essayer au portugais, car les missions sont quasiment toujours menées en collaboration avec un ou plusieurs autres pays. Le travail sur le pont est rigoureux et fatiguant physiquement; nous devons annoter les précieuses sections de carottes sans faire la moindre erreur et les porter - celles-ci faisant plusieurs dizaines de kilos - sur la coursive en prenant soin de les garder bien horizontales. Mais les travaux étant soigneusement coordonnés par nos 3 cheffes (3 femmes cette fois-ci!) de quart, l’ambiance est toujours bonne et nous prenons plaisir à travailler à tout heure du jour et de la nuit. D’autres activités ont lieu en parallèle en laboratoire, celles-ci sont moins physiques mais demandent précision et patience. 

Lors d’un transit de 3 jours sans travail sur le pont, de petites conférences sont organisées permettant à un certain nombre de présenter leurs travaux. Je fais partie des heureux élus et j’accepte volontiers cette exercice. C’est ma première présentation en anglais et il fait plus de 30°C dans la salle de conférence, j’en sors la chemise trempée mais fière de moi! 

J’ai également la chance de participer aux opérations de « survey » de la fin de mission qui consistent à suivre le profil du plancher océanique sous le bateau obtenu à partir d’ondes, en quête de zones d’étude intéressantes pour une éventuelle prochaine mission. Là encore, sur le plan scientifique, difficile de s’ennuyer!

Cette aventure est finalement marquée par le passage de l’équateur, environ à mi parcours. Quelques minutes avant le moment tant attendu, l’excitation se fait ressentir et chacun y va de son imagination; un feu d’artifice? Un grand flash de lumière? Une inversion du monde, genre d’upside down (en référence à Stranger Things)? Finalement, à 0° de latitude, point de passage de la ligne, rien ne se passe évidemment! Mais ce passage est symbolique et fera l’objet en fin de mission d’une cérémonie de baptême de tous les « néophytes », terme désignant les personnes n’ayant jamais traversées l’équateur par voie maritime. La coutume veut que les détails de ce baptême restent secrets! En tout cas, celui-ci plonge le bateau dans une ambiance festive pour ce dernier soir au milieu de l’océan et laisse place à la fameuse soirée barbecue de fin de mission à laquelle chaque passager du bateau est invité. Au rythme de musiques brésiliennes, malgaches, françaises et des mouvements du bateau sur une Atlantique agitée, chacun se déhanche sur le pont pour célébrer la réussite de cette mission…

En définitive, l’expérience vécue à bord du Marion marque par sa singularité, par la joie de chacun de participer à l’aventure, par les rencontres et les liens qui s’y créent, par tous les moments vécus et les enseignements scientifiques mais pas que, acquis à bord.

Pour ma part, je descends de ce bateau chargée de souvenirs, d’un stock d’heures de rigolade pour les 5 années à venir, de nouveaux amis français et brésiliens, d’une bonne quantité d’heures de danses, d’un talent artistique dévoilé, d’un diplôme de passage de l’équateur et de nouvelles connaissances scientifiques (heureusement quand même).

Merci Marion pour cette folle aventure, j’espère te revoir le plus vite possible.

CAMPAGNE OCEANOGRAPHIQUE AMARYLLIS 2023

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